Porté par l’Oppic, pour le compte du ministère des Armées et financé par la Ville de Vincennes, avec le soutien de plusieurs partenaires institutionnels, le réaménagement paysager des abords nord du château de Vincennes est en cours. À la croisée du patrimoine et de la ville contemporaine, ce site emblématique appelait une intervention à la fois sobre, cohérente et respectueuse de son identité.
Le paysagiste concepteur Philippe Niez a été chargé de repenser cet espace sensible, en lien étroit avec l’architecte en chef des monuments historiques, Christophe Batard. À travers son regard singulier, il redonne sens et cohérence à ces abords, en s’appuyant sur l’histoire du lieu tout en intégrant les enjeux écologiques, urbains et culturels du XXIᵉ siècle.
Découvrez les grandes lignes de ce projet à travers l’interview du paysagiste, qui partage ici sa démarche, ses sources d’inspiration et sa vision d’un paysage à la fois ancré dans le passé et tourné vers l’avenir.

Quelle est votre approche en matière de conception paysagère ?

Mon approche en matière de conception repose sur un équilibre subtil, empreint de retenue, entre la commande qui m’est confiée et ce que j’appelle l’esprit du lieu. Ce que les Anglo-Saxons nomment « the spirit of the place », c’est en quelque sorte l’âme d’un site : ce qu’il dégage, ce que l’on perçoit selon les saisons, les heures du jour, ou encore à travers la végétation qui s’y épanouit. C’est un ensemble de critères, mis bout à bout, forment l’identité propre d’un lieu.
Mais que veut dire rêver un jardin ? C’est en quelque sorte une alchimie entre ce que vous avez vu et découvert tout au long de votre parcours de vie durant les voyages … dans le cas qui me concerne, mes références sont universelles, m’inspirant de toutes les cultures… Ces ambiances sont une banque de données que j’essaie d’exploiter au mieux des opportunités qui se présentent.
L’esprit du lieu et l’objet de la commande constituent le ferment de la réflexion auquel s’ajoute la dimension créative propre à chaque maître d’œuvre. À un moment ce qui fait un tout catalyse, et les idées naissent dans votre esprit comme les bulles d’une bouteille d’eau gazeuse que l’on décapsule.
Comment tenez-vous compte du contexte historique, culturel ou naturel du site ?

On en revient à ce que j’évoquais ci-dessus : l’esprit du lieu, qui est l’essence même d’un lieu, sa matrice.
Le contexte historique est souvent fécond, riche en données dans lesquelles il est possible de puiser pour construire une réflexion. Si on prend l’exemple de l’aménagement paysager des abords nord du château de Vincennes, plus de huit cents ans d’histoire de France caractérisent le site.
La forêt giboyeuse telle qu’elle était pratiquée par les rois de France a disparu, et aujourd’hui le château, ses douves et ses enceintes s’inscrivent dans le tissu urbain dense et ‘pixelisé’ de la Ville de Vincennes.
La statue de Louis IX dit Saint Louis a été le catalyseur de ma réflexion, car nous touchons une époque particulière de notre histoire, celle des croisés, mais aussi par transpositions, des paysages méditerranéens et le berceau de la chrétienté.
Le choix des essences végétales s’est voulu évocateur et adaptatif : le Quercus cerris, chêne chevelu d’origine sud-est européenne, et les Prunus domestica, ou pruniers de Damas, viennent ainsi évoquer des paysages du sud tout en répondant aux impératifs du réchauffement climatique. Un grand potager et des vergers sont évoqués sur des dessins aquarellés du milieu du XVIIᵉ siècle, les pruniers de Damas disposés en rang en sont une modeste interprétation.
En effet, comme le souhaitait Christophe Batard, la densité de ce jardin s’appuie avant tout sur un parti d’aménagement qui consiste à rappeler la présence de ces vergers et potagers du XVIIᵉ siècle, tout en proposant une interprétation contemporaine.
Quels sont, selon vous, les grands enjeux du site à traiter ?

Les grands enjeux du site du Château de Vincennes sont de retrouver une cohérence équilibrée entre le cœur du château et son espace comme évidé, et l’intégration de cette masse architecturale qu’est le château fort dans la ville de Vincennes.
Si au cœur du château nous sommes dans un espace clos et exceptionnel, avec de hauts murs d’enceinte isolés des tribulations de la ville, comme dans une immense boîte, la soudaineté du contexte fait que nous avons un rapport privilégié aux cieux. Le cœur du château fort est une fenêtre sur l’univers. La Sainte-Chapelle, joyau gothique, est là pour nous le rappeler.
Pouvez-vous expliquer les grands axes de votre proposition pour ce projet paysager ?

La proposition est basée sur le point et le contrepoint, et les temporalités qui se conjuguent sans s’affronter au pied des douves du Château de Vincennes.
D’un côté, le mur de la contrescarpe, les douves et le château défient le temps depuis des siècles ; de l’autre, l’avenue de Paris vit au rythme effréné de notre époque. Côté contrescarpe, l’aménagement s’articule autour de la topiaire – une architecture végétale taillée avec rigueur – comme une série de sphinx végétaux figés, alignés quasi militairement.
En contrepoint, des prairies souples et ondoyantes assurent une transition douce entre les douves et l’agitation de l’avenue de Paris, avec en toile de fond le terminus de la ligne 1 du métro. Un mobilier en pierre calcaire, aux formes oblongues ou courbes, accompagne ce dialogue entre végétal et minéral, entre persistance et mutation.
La statue de Saint Louis, retirée pendant les travaux, retrouvera sa place au sein de cet espace repensé, une fois restaurée.
Quelles fonctions (esthétiques, sociales, écologiques, pratiques) souhaitez-vous faire cohabiter dans cet aménagement ?

Le jardin est sans doute, avec la plage, le plus grand lieu de tolérance sociale qui soit… Un très large public peut s’y retrouver, se poser sur un mobilier choisi à cet effet afin de lire, de rêvasser ou bien de flâner : se reposer l’âme. Les jardins sont des lieux de reconnexion avec soi-même, avec les autres, avec une « nature » certes domestiquée.
Si la dimension patrimoniale en est l’essence, dans le cadre du réaménagement des abords nord du château de Vincennes, il ne faut jamais oublier qu’un jardin est un lieu ouvert à tous, quel qu’il soit, fait pour un public de tous les âges.
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Au XXIᵉ siècle, les aspirations évoluent également. Le contexte du dérèglement climatique, qui s’accélère, a fait prendre conscience que notre humanité vit dans une fine couche d’atmosphère de plus ou moins 10 kilomètres d’épaisseur, fragile, puisque son équilibre est en train de subir de plein fouet les conséquences conjuguées du dérèglement climatique et des gaz à effet de serre.
En un peu moins de 300 ans, les paramètres — démographie, progrès, développement industriel, développement scientifique — en se conjuguant de manière catalytique, ont eu pour conséquence la dégradation de l’environnement par une multitude de pollutions, qui se sont manifestées au niveau terrestre, atmosphérique et marin, engendrant par effet domino des atteintes quelquefois irréversibles sur la biodiversité.
La biodiversité est le patrimoine de la Terre, celui du vivant, qui se divise en deux grandes branches : le phylum animal et le phylum végétal.
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La réalisation de jardins, et tout ce qui se rattache à l’idée de protection de la nature, sont devenus au fil des dernières cinquante années un acte politique — au sens étymologique du terme : polites (le citoyen) et polis (la cité).
